Profondeur de Pascal. Il perçoit qu'il y a un malaise. La pensée tourne en rond en se demandant si le monde peut être sauvé ou pas. Il y a de la violence dans ce débat, il y a de la violence sacrificielle. Ceux qui pensent ainsi n'aiment pas, ils ne pensent qu'à eux. Quant l'un croit comme le stoïcien que l'Homme peut tout faire, l'autre comme le pyrrhonien pense que les hommes ne peuvent rien faire. Personne ne parle à partir de lui en se regardant. Tout le monde tient des discours abstraits. Si un stoïcien ou un pyrrhonien partait de lui, il verrait ce qu'il n'arrive pas à voir.
Nous existons malgré notre faiblesse. Il s'agit là d'un signe : le salut est possible, mais il vient d'ailleurs. Il n'est ni impossible ni de notre fait. On parvient à cette vérité à la suite d'une transformation. Celle ci consiste à ne rien sacrifier. Face au pyrrhonien il faut dire que le salut est possible. Face au stoïcien, il faut dire qu'il vient d'ailleurs. On peut ainsi parler de salut sans tomber dans l’orgueil du stoïcien, et parler de lucidité sans tomber dans le désespoir du pyrrhonien. C'est ce que nous ne faisons pas. L'idée que le salut existe mais qu'il vient d'ailleurs heurte notre orgueil comme notre désespoir. Nous voulons tout ou rien. Etre le sauveur ou n'être rien, et désespérer de tout. Attitude infantile, passionnelle, pathologique, humaine, très humaine, trop humaine. D'où nos sacrifices métaphysiques : celui de la lucidité avec le stoïcisme et son orgueil, celui de l'espérance avec le pyrrhonisme et son désespoir, Pascal l'a perçu. Nous sommes coupés en deux. La pensée est crucifiée. Nous oscillons entre orgueil et désespoir au lieu de vivre ce qui part de nous mêmes pour aller ailleurs, et ce qui part d'ailleurs pour aller vers nous mêmes. "
Bertrand Vergely. Retour à l'émerveillement.